Peut-on encore entendre le français d’autrefois ?
Peut-on encore entendre le français d’autrefois ?
Voyage au cœur des parlers régionaux et de leur survie
Introduction
Dans un marché de campagne du Limousin, une vieille dame interpelle son voisin : « Bonjorn. Cossí vas? » À première oreille, on croit entendre un étrange accent du Sud. En réalité, c’est de l’occitan, langue vivante issue du latin, parlée ici depuis des siècles. Partout en France, à bas bruit, se murmure un “autre français” : plus ancien, plus enraciné, mais largement méconnu.
À une époque où le français standard s’impose dans tous les canaux officiels, peut-on encore entendre le “français d’autrefois” ? Ce phénomène, souvent réduit au folklore, mérite d’être éclairé par la linguistique, qui montre que ces langues régionales sont bien plus que des curiosités : elles sont les héritières vivantes de notre histoire linguistique.
Le français d’autrefois n’a pas disparu, il s’est fragmenté
Contrairement à une idée reçue, le « vieux français » n’est pas mort : il s’est transformé. Une branche a évolué pour devenir le français standard, promu par les institutions centrales depuis le XIXᵉ siècle, et basé sur le dialecte d’Île-de-France (le francien). Les autres branches, moins valorisées mais tout aussi légitimes, ont poursuivi leur chemin : picard, occitan, franco-provençal... Ces langues ne sont pas des “patois” déformés, mais bien des sœurs du français, avec chacune son histoire propre.
Et si elles paraissent étranges à nos oreilles francophones, c’est précisément parce qu’elles ont gardé des traits linguistiques du Moyen Âge : sons, mots, tournures grammaticales. En les écoutant, on entend ce que le français a un jour été.
Trois langues régionales aux accents du passé
1. Le picard : des sons du Nord aux échos médiévaux
Parlé dans les Hauts-de-France et le Hainaut belge, le picard conserve des sons issus du latin que le français a perdus. Le mot « quène » (chien) garde ainsi le k latin de canem. Son vocabulaire est aussi marqué par des influences germaniques, comme wassingue (serpillière).
Avec environ 500 000 locuteurs en France, le picard est classé “sérieusement en danger” par l’UNESCO. Une enquête menée en 2022 révèle que, si beaucoup y sont attachés, son usage se limite souvent à la sphère privée, chez les grands-parents ou dans les fêtes locales.
2. L’occitan : la langue des troubadours résiste
Du Limousin à l’Occitanie, l’occitan reste l’une des langues régionales les plus structurées. Elle conserve des éléments anciens comme la voyelle finale non muette (pana pour “pain”), ou l’utilisation des articles lo et la, hérités directement du latin.
Malgré un nombre de locuteurs estimé à 500 000–700 000, l’occitan est également “gravement menacé”. Toutefois, il bénéficie d’un réseau scolaire dynamique : les écoles Calandretas, créées dans les années 1970, accueillent aujourd’hui près de 4 000 élèves, formés en immersion de la maternelle au lycée.
3. Le franco-provençal (ou arpitan) : une langue aux confins des Alpes
Moins connu, le franco-provençal, parlé en Savoie, en Suisse romande et en Vallée d’Aoste, présente des formes archaïques saisissantes : tiè pour “tête”, filyou pour “filles”, et un système verbal unique. Avec à peine 30 000 à 80 000 locuteurs en France, il est classé “presque éteint” dans plusieurs études.
Mais cette langue connaît une reconquête inattendue : des “nouveaux locuteurs”, souvent urbains, apprennent l’arpitan via internet ou des ateliers. Leur démarche est identitaire, militante, voire écologique. Cependant, cette revitalisation crée parfois des tensions avec les anciens locuteurs, qui ne reconnaissent pas toujours ce “arpitan de salon”.
Le poids de la diglossie : quand une langue écrase l’autre
Depuis le XIXᵉ siècle, la France vit dans un régime de diglossie : le français standard (la “haute” variété) est utilisé dans l’école, la justice, les médias, tandis que les langues régionales (la “basse” variété) sont reléguées à la famille ou au folklore.
Domaine | Français standard | Langue régionale |
---|---|---|
Éducation | Norme obligatoire | Absent ou marginal |
Prestige social | Élément de réussite | Stéréotype du “Patois” honteux |
Transmission | État et école | Famille ou bénévoles |
Ce déséquilibre a causé une rupture générationnelle brutale. Lorsqu’une langue cesse d’être transmise aux enfants, elle perd 80 % de ses locuteurs en deux générations. C’est ce qu’on observe depuis les années 1960, dans toutes les régions de France. Quelles revitalisations depuis 2021 ?Un cadre juridique plus favorableLa loi Molac (2021) a marqué une avancée en reconnaissant les langues régionales comme patrimoine à protéger, en autorisant les écoles immersives et l’affichage bilingue. Mais certains dispositifs restent fragiles et soumis à contestation (notamment constitutionnelle). L’école comme levier centralLes réseaux Calandreta (occitan), Diwan (breton) ou Seaska (basque) montrent qu’une transmission solide est possible dès l’enfance. Le nombre d’options en langue régionale au baccalauréat a triplé depuis 2019. Le numérique, nouvel alliéAvec le soutien de l’Union européenne, des projets comme ALT-EDIC visent à numériser ces langues : création de corpus audio, reconnaissance vocale, dictionnaires en ligne. L’université de Lille travaille actuellement sur une synthèse vocale en picard. Une culture populaire qui s’en empareGroupes musicaux comme Massilia Sound System, séries YouTube en arpitan, BD bilingues… La langue devient un marqueur culturel dans certains milieux jeunes et créatifs. Les nouveaux locuteurs, moteur fragileCes adultes, souvent citadins, apprennent une langue régionale par choix personnel. Leur engagement est fort, mais la connexion avec les locuteurs natifs reste parfois difficile : accent, vocabulaire, ou pratiques culturelles différentes. Entre fierté retrouvée et préjugés persistantsLes langues régionales restent perçues comme “langues de vieux” ou “accents ridicules” par une partie du public. Pourtant, une étude menée en Picardie en 2022 a montré qu’informer les personnes sur le statut en danger de la langue suffisait à faire évoluer leur regard (+15 % de volonté de transmission). Aujourd’hui, radios locales, TikTok bilingue et podcasts contribuent à redorer leur image. Dans certaines régions, elles deviennent même un atout touristique et identitaire. Peut-on encore les entendre ?Oui, mais il faut savoir où tendre l’oreille :
Mais ces voix sont dispersées, souvent isolées, et dépendantes de soutiens politiques et technologiques. Conclusion : des échos du passé ou une langue d’avenir ?Alors, peut-on encore entendre le français d’autrefois ? Oui. Mais pour qu’il reste vivant, trois conditions s’imposent :
Le français standard n’est pas l’unique héritier de notre histoire linguistique. Les langues régionales sont des témoins vivants du Moyen Âge, mais aussi des outils potentiels pour penser autrement notre rapport au territoire, à la transmission et à l’altérité.
Et vous ?Avez-vous déjà entendu parler occitan, picard ou arpitan autour de vous ? Vous sentez-vous concerné par leur disparition ? Faut-il sauver les langues régionales ou les laisser partir en paix ? Faites-nous part de votre avis en commentaire. | ||||||
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