🌙 Pourquoi se réveiller en pleine nuit n’était pas un problème (autrefois)

 

🌙 Pourquoi se réveiller en pleine nuit n’était pas un problème (autrefois)



Dans une société obsédée par le sommeil "réparateur", se réveiller vers 3 h du matin est souvent vu comme un dysfonctionnement. On parle d’insomnie, de troubles du rythme circadien, on cherche des solutions médicamenteuses. Pourtant, cette "pause nocturne" était jadis normale, attendue, et même mise à profit.

À travers l’histoire du sommeil, l’anthropologie nous permet de mieux comprendre ce qui est naturel… et ce qui ne l’est pas.


🛏️ Une nuit coupée en deux

Avant la généralisation de l’éclairage artificiel et des horaires fixes, les Européens vivaient souvent selon un sommeil biphasique :

  • Un premier sommeil débutant peu après la tombée de la nuit.

  • Une période d’éveil calme, d’une à deux heures.

  • Un second sommeil jusqu’au petit matin.

Cette période d’éveil nocturne, appelée "dorveille", était documentée dans des textes religieux, littéraires et médicaux du Moyen Âge à la Révolution industrielle. L’historien Roger Ekirch a retrouvé des centaines de références à ce double sommeil, notamment dans les journaux intimes ou les traités de médecine des XVIIe et XVIIIe siècles.


🔥 Que faisait-on pendant la dorveille ?

Tout sauf paniquer. Cet éveil n’était pas vécu comme un bug du cerveau, mais comme une phase douce et utile. On :

  • Priait (les matines ou le chapelet, très répandus).

  • Parlait tranquillement à son conjoint, parfois à ses voisins.

  • Faisait l’amour, ou méditait.

  • Réfléchissait à ses rêves, voire les notait.

  • Travaillait à la chandelle : couture, réparation, écriture.

La dorveille ouvrait une parenthèse dans la nuit, ni jour, ni sommeil, où le calme régnait dans les foyers.


🌍 Ce n’était pas universel

Ce rythme n’était pas partagé par toutes les cultures. Il dépendait :

  • De la durée de la nuit (plus le jour est court, plus le sommeil a besoin d’être morcelé).

  • Du climat et du mode de vie : les sociétés proches de l’équateur, ou les cultures méditerranéennes pratiquant la sieste, dormaient différemment.

  • Du degré de dépendance au soleil : dans les villages ruraux, on se calait sur lui.

Chez les Hadza en Tanzanie ou les Tsimané en Bolivie, des anthropologues ont observé un sommeil plus court mais plus souple, sans phase de dorveille marquée. C’est donc un modèle ancien, mais pas universel.


💡 Pourquoi avons-nous perdu cette habitude ?

Trois raisons principales :

  1. L’électricité a repoussé l’heure du coucher sans allonger la nuit.

  2. Les horaires fixes imposés par l’école et le travail ont rendu le sommeil segmenté peu pratique.

  3. Le sommeil est devenu un enjeu de performance : dormir "huit heures d’affilée" est perçu comme un objectif santé.

À partir du XIXᵉ siècle, le sommeil en deux temps devient un souvenir. Le réveil nocturne est requalifié en insomnie.


🧬 Aujourd’hui : une réémergence silencieuse ?

Les sciences du sommeil modernes montrent que l’être humain placé dans l’obscurité pendant plus de 10 h par jour retrouve spontanément ce rythme en deux temps.

Dans une expérience menée dans les années 1990, le psychiatre Thomas Wehr a observé ce phénomène chez ses volontaires : après quelques jours, ils adoptaient un sommeil biphasique, avec une dorveille sereine entre les deux cycles.

Cela signifie que ce rythme fait partie de notre biologie possible, même s’il est actuellement désactivé par notre mode de vie.


🧘 Et si on arrêtait de lutter ?

Se réveiller la nuit n’est pas toujours un trouble. Cela peut être :

  • Une rémanence biologique du passé.

  • Un moment à investir autrement : lecture calme, rêverie, écriture.

  • Un appel à écouter son corps, plutôt que lutter contre lui.

Le problème n’est pas tant l’éveil que l’injonction à dormir sans interruption.


✅ À retenir

  • Le sommeil biphasique était la norme en Europe jusqu’au XIXᵉ siècle.

  • La dorveille n’était pas redoutée mais accueillie avec calme.

  • Le modèle actuel du sommeil continu est récent, lié à l’industrialisation.

  • Il est possible d’apprivoiser ses éveils nocturnes plutôt que les subir.


"Le sommeil n’est pas une ligne droite. C’est une danse ancienne avec la nuit."


Et vous, que feriez-vous si la nuit vous offrait une heure de calme supplémentaire, sans obligation de dormir ?

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