🧑‍💼 Peut-on vraiment choisir son métier ?

 

🧑‍💼 Peut-on vraiment choisir son métier ?

Liberté individuelle vs nécessité économique : que reste-t-il de notre pouvoir de décision ?

 


Un jeune diplômé qui enchaîne les petits boulots faute de mieux. Une mère célibataire qui accepte un emploi à temps partiel pour payer les factures. Un cadre qui quitte son job bien payé pour retrouver du sens. Ces histoires sont partout. Elles racontent nos trajectoires professionnelles, entre espoir, compromis, et parfois résignation.

Dans les discours publics et les entretiens d’embauche, une idée revient sans cesse : “Chacun est libre de choisir son travail.” Mais est-ce vraiment si simple ?

Car dans une société où l’on doit travailler pour vivre, le choix de l’emploi est-il encore une décision libre ? Ou s’agit-il d’une illusion, masquant les contraintes économiques et sociales qui pèsent sur nous ?

👉 Ce paradoxe peut être mieux compris à travers le prisme de la philosophie contemporaine, notamment via la notion de liberté individuelle.


🔹 Liberté de choisir : une belle idée... en théorie

La philosophie distingue deux formes de liberté :

  • La liberté “négative” (Isaiah Berlin) : c’est l’absence d’obstacles externes. Si personne ne vous empêche de devenir boulanger ou architecte, alors vous êtes libre.

  • La liberté “positive” : c’est la capacité réelle à faire un choix et à le mettre en œuvre. Avoir le droit de devenir médecin ne suffit pas si vous n’avez ni les moyens, ni les diplômes.

Autrement dit, pouvoir choisir un métier n’est pas la même chose que pouvoir en vivre, ou que pouvoir y accéder vraiment. C’est là que la nécessité économique entre en jeu : beaucoup travaillent non par envie, mais parce qu’ils n’ont pas le luxe de faire autrement.

➡️ Exemple : Une personne sans épargne qui perd son emploi n’a guère le choix. Elle prendra “ce qui vient”, souvent loin de ses aspirations.


🔹 Le choix... dans les limites du marché

Des penseurs comme Michel Foucault ou Pierre Bourdieu ont montré comment nos sociétés façonnent nos choix.

  • Pour Foucault, on vit dans un système qui nous pousse à nous “auto-gérer” : optimiser notre carrière, nos compétences, notre image. Même si on pense choisir librement, nos décisions sont souvent orientées par les attentes du marché.

  • Pour Bourdieu, nos choix sont influencés par notre origine sociale. Une personne issue d’un milieu ouvrier n’aura pas les mêmes “habitus”, les mêmes réflexes, que l’enfant d’un cadre supérieur. Les deux ne viseront pas les mêmes métiers, parfois sans même s’en rendre compte.

📊 En France, un jeune issu d’un milieu modeste a statistiquement moins de chances d’accéder aux professions prestigieuses, même avec des efforts équivalents.


🔹 Peut-on dire “non” à un travail ?

Le philosophe Amartya Sen propose un critère éclairant : est-on capable de refuser un emploi qui ne nous convient pas, sans risquer l’exclusion sociale ou la misère ?
Si la réponse est non, alors notre liberté de choix est fortement limitée. Selon lui, la vraie liberté réside dans les “capabilités” : ce que l’on est réellement en mesure de faire, pas ce qu’on a simplement le droit de faire.

💬 “Être libre de choisir un travail, ce n’est pas cocher une case, c’est pouvoir en envisager plusieurs, et en refuser sans danger.”

👉 C’est pourquoi certains plaident pour un revenu de base ou une sécurité sociale professionnelle : des outils qui permettraient de choisir un emploi pour ce qu’il est, et non parce qu’on n’a pas le choix.


🔹 Travail subi, travail choisi : des données qui parlent

Quelques chiffres clés :

  • En 2020, plus de 10 % des salariés en France étaient en CDD ou intérim.

  • Près de 9 % des travailleurs européens sont pauvres malgré leur emploi.

  • Les moins qualifiés ont trois fois plus de risques d’être au chômage que les diplômés du supérieur.

Ces données montrent que pour beaucoup, le travail est une nécessité, pas une vocation. Le “choix” d’un emploi est souvent un compromis, voire un acte de survie.


🔹 Conclusion : une liberté à reconstruire ?

Peut-on vraiment choisir son métier ?
Pas complètement. Du moins pas tant que les conditions économiques, sociales et institutionnelles rendent ce choix si inégalement réparti.
Certains peuvent refuser un emploi et attendre mieux. D’autres n’ont pas ce luxe. Ils “choisissent”, certes, mais sous contrainte.

Ce constat ne doit pas mener au fatalisme, mais à une interrogation collective :

Comment faire en sorte que chacun ait, un jour, les moyens de choisir vraiment ?


✍️ À retenir

  • La liberté formelle (avoir le droit de choisir) ne garantit pas une liberté réelle (avoir les moyens de le faire).

  • Nos trajectoires professionnelles sont largement influencées par des contraintes invisibles (classe sociale, diplômes, précarité…).

  • Repenser la liberté au travail, c’est aussi repenser les politiques d’emploi, la reconnaissance sociale, et les mécanismes de solidarité.


❓ Et vous, avez-vous vraiment choisi votre travail… ou l’a-t-il fait pour vous ?


📚 Pour aller plus loin :

  • Amartya Sen, Development as Freedom

  • Michel Foucault, Naissance de la biopolitique

  • Axel Honneth, Le droit de la liberté

  • Pierre Bourdieu, Contre-feux

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