🔬 L’humain, un animal comme les autres ? Ce que Darwin et l’éthique nous disent vraiment

 🔬 L’humain, un animal comme les autres ? Ce que Darwin et l’éthique nous disent vraiment

Et si la théorie de l’évolution ne mettait pas seulement en cause nos origines biologiques, mais aussi notre prétention morale à l’exception ? C’est le pari du philosophe James Rachels, à la lumière de Darwin.


❓ Une espèce pas si spéciale ?

Depuis plus d’un siècle et demi, la théorie de l’évolution transforme radicalement notre compréhension du vivant. Mais ses implications éthiques restent souvent dans l’ombre. Sommes-nous vraiment si différents des autres espèces ? Le darwinisme remet-il en question la dignité morale unique de l’humain ? Pour James Rachels, philosophe américain, la réponse est claire : la pensée de Darwin fait vaciller la croyance en une supériorité humaine fondée sur la nature même de notre espèce.

Dans Animaux humains. Les implications morales du darwinisme (Éliott éditions, 2025), tout juste traduit en français, Rachels interroge la racine philosophique de cette prétention. Loin de dénaturer Darwin, il pousse ses idées jusqu’à leurs conséquences : si l’homme a été "créé à partir des animaux", comme le suggérait Darwin lui-même, peut-on encore justifier les frontières morales rigides entre nous et les autres espèces ?


🧬 Ce que Darwin a vraiment dit

Charles Darwin, naturaliste britannique du XIXe siècle, n’était ni biologiste de profession ni figure académique au sens moderne. Issu d’une formation en théologie, passionné par la nature, il embarque en 1831 à bord du Beagle pour une expédition de cinq ans autour du globe. À son retour, ses échantillons, dessins et carnets d’observation font sensation dans les cercles scientifiques londoniens.

En 1859, il publie De l’origine des espèces, un ouvrage fondamental mais volontairement grand public. Il y expose deux idées majeures :

  • Les espèces ne sont pas immuables, mais dérivent les unes des autres.

  • La sélection naturelle : dans un monde où les ressources sont limitées, les individus présentant des variations avantageuses survivent davantage et transmettent ces traits à leur descendance.

Darwin y est pourtant extrêmement prudent : il n’utilise pas le mot "évolution" et évite de parler directement de l’être humain. Mais dès ses carnets personnels (notamment le Notebook C), il ose une réflexion plus directe :

« Dans son arrogance, l’homme se croit une grande œuvre, digne de l’intervention d’une divinité. Il est plus humble et, je crois, plus vrai de considérer qu’il a été créé à partir des animaux. »

Cette citation, reprise par James Rachels comme titre original de son livre (Created from Animals, 1990), devient le socle de toute une réflexion éthique.


📉 Trois blessures à l’orgueil humain

Pour le psychanalyste Sigmund Freud, l’humanité a subi au moins trois grandes humiliations scientifiques :

  1. Copernic : la Terre n’est pas le centre de l’univers.

  2. Darwin : l’homme n’est qu’un produit de la nature animale.

  3. Freud lui-même : le moi n’est pas maître dans sa propre maison.

C’est cette deuxième blessure narcissique que James Rachels approfondit : en sapant l’idée d’un statut à part, l’évolution nous place dans une continuité biologique avec les autres espèces. Or, pendant des siècles, la morale traditionnelle s’est construite sur cette exception : l’humain comme seul être rationnel, seul détenteur d’une âme, seul à disposer d’une "dignité".

Mais si la raison n’est plus une barrière absolue, mais un continuum – certains animaux manifestant des comportements sociaux, voire altruistes –, alors nos obligations morales ne peuvent plus reposer uniquement sur une séparation de nature.


🐒 Ce que dit la science aujourd’hui

Les apports modernes de la biologie renforcent cette vision continuiste :

  • Les humains partagent plus de 98 % de leur ADN avec les chimpanzés.

  • Certaines régions du génome humain sont plus proches du bonobo que du chimpanzé lui-même.

  • Les études éthologiques (ex. : Frans de Waal) montrent que des espèces animales font preuve d'empathie, de coopération, de transmission culturelle.

La génétique évolutionniste, aujourd’hui fusionnée à la théorie de Darwin grâce aux apports de Mendel (hérédité), confirme la descendance commune de tous les êtres vivants, humains compris. Ce n’est plus une intuition, c’est une donnée scientifique robuste, soutenue par la génomique et la paléoanthropologie.


⛪ Darwin contre le créationnisme

Cette perspective scientifique n’est pas sans opposition. Aux États-Unis, le créationnisme – croyance en une création divine littérale du monde – continue de séduire. D’après une enquête Gallup (2024), plus d’un tiers des Américains adhèrent à cette vision. Des institutions comme l’Ark Encounter, un parc biblique, témoignent de cette résistance culturelle au darwinisme.

Pour Rachels, l’enjeu n’est pas tant de débattre théologie que de montrer à quel point la vision créationniste repose sur une exception humaine : Dieu aurait créé l’homme "à son image", au sommet d’une hiérarchie immuable. Darwin dérange car il dissout cette structure. Le monde devient un processus historique, non un projet abouti.


⚖️ Vers une nouvelle éthique du vivant ?

Les thèses de James Rachels trouvent aujourd’hui un écho puissant dans plusieurs débats contemporains :

  • Les droits des animaux : peut-on refuser à d’autres espèces des droits élémentaires simplement parce qu’elles ne sont pas humaines ?

  • La bioéthique : si l’humain est un produit de la nature, comment penser les interventions sur son corps (édition génétique, euthanasie, expérimentation…) ?

  • La justice interespèces : des juristes militent pour une personnalité juridique des grands singes ou des cétacés.

Loin d’être un débat du XIXe siècle, la remise en question de l’exception humaine reste l’un des grands chantiers du XXIe siècle.


🧭 Ce que Darwin nous oblige à repenser

Réduire Darwin à une théorie biologique serait une erreur. Son œuvre, enrichie aujourd’hui par la génomique et la philosophie morale, nous pousse à revoir notre place dans le monde. Ce n’est pas une dévalorisation de l’humain, mais une invitation à l’humilité : reconnaître nos liens avec les autres formes de vie, sans nous penser comme leur finalité.

Comme le montre James Rachels, cela ne signifie pas abandonner toute morale, mais plutôt reconstruire une éthique sur des bases plus solides, moins anthropocentriques.


🔍 Pour aller plus loin

  • James Rachels, Created from Animals: The Moral Implications of Darwinism, Oxford University Press, 1990.

  • Eugenie C. Scott, Evolution vs Creationism, University of California Press, 2009.

  • Patrick Tort, L’Effet Darwin, Seuil, 2008.

  • Frans de Waal, La Politique du chimpanzé, et autres travaux sur l’éthologie comparée.


🧠 Conclusion : un miroir pour notre époque

Et si la plus grande force de l’humanité était justement sa capacité à se décentrer ? Reconnaître que nous sommes des animaux, parmi d’autres, n’enlève rien à notre valeur, mais nous invite à penser autrement nos responsabilités. C’est peut-être le début d’une nouvelle sagesse écologique et morale.

🐾 L’humanité n’est peut-être pas au sommet, mais simplement dans le flux d’une longue histoire de la vie. La question est : que voulons-nous en faire ?

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