“Les poissons ressentent-ils la douleur ?” : jusqu'à 22 minutes d'agonie hors de l'eau

 “Les poissons ressentent-ils la douleur ?” : jusqu'à 22 minutes d'agonie hors de l'eau

Une nouvelle étude scientifique remet en question nos habitudes de consommation et ouvre le débat sur le bien-être animal aquatique.

 

🫧 Un mal invisible : que vivent les poissons quand on les sort de l'eau ?

Chaque année, plus d'un billion de poissons sont capturés ou élevés pour notre alimentation. Truites, saumons, bars ou dorades... tous subissent une même fin bien souvent méconnue : une mort lente par asphyxie. Contrairement à une idée reçue, cette agonie n'est ni brève ni indolore. Une étude récente, publiée dans Scientific Reports par l'équipe de Cynthia Schuck-Paim du Welfare Footprint Project, met des chiffres précis sur cette souffrance.

🔹 Jusqu'à 22 minutes de douleur intense pour une truite arc-en-ciel laissée à l'air libre. En moyenne, cela représente 24 minutes de douleur par kilogramme de poisson abattu. Des chiffres qui interrogent, surtout quand on les multiplie par les milliards de poissons concernés.

📈 Le "Welfare Footprint" : mesurer la souffrance animale

Comment quantifier la douleur d'un animal ? Le Welfare Footprint Framework (WFF) propose une méthode originale : évaluer le temps passé dans un état de stress ou de douleur, de léger à extrême. C'est un outil comparable à l'empreinte carbone, mais appliqué au bien-être animal. L'objectif ? Donner aux professionnels de la filière (aquaculteurs, vétérinaires, industriels) une base pour comparer les pratiques et les améliorer.

Ce cadre a permis d'estimer la souffrance liée à l'abattage le plus courant : l'exposition à l'air libre. Une fois hors de l'eau, les poissons – comme la truite – manifestent en quelques secondes des comportements de panique : torsions, halètements, agitation frénétique. Biologiquement, leurs branchies s'effondrent, le CO₂ s'accumule, le sang s'acidifie, provoquant une cascade de réactions nociceptives (liées à la douleur).

🤔 Un poisson peut-il souffrir comme un chien ?

Longtemps, les poissons ont été perçus comme des êtres primitifs, incapables de ressentir la douleur. Pourtant, les dernières recherches sont formelles :

  • Ils possèdent des nocicepteurs comparables à ceux des mammifères.

  • Ils réagissent aux stimuli douloureux (irritants, chocs) par des changements comportementaux (stress, refus de s'alimenter).

  • Ces réactions diminuent avec des antalgiques ou anesthésiques, preuve que la sensation est bien perçue.

Mieux encore, certaines espèces de poissons montrent des signes de mémoire, d'apprentissage, de reconnaissance sociale. Des études d'électro-encéphalogramme montrent que des activations corticales complexes ont lieu en situation de douleur. L'Union Européenne, le Royaume-Uni ou encore l'Association vétérinaire américaine reconnaissent désormais les poissons comme des êtres sensibles.

⚖️ Asphyxie vs étourdissement : toutes les morts ne se valent pas

L'asphyxie (air libre ou glace) reste la méthode la plus utilisée pour abattre les poissons, car peu coûteuse. Mais d'autres options existent :

  • Étourdissement électrique : un courant traverse un bain d'eau, rendant le poisson inconscient en moins d'une seconde.

  • Étourdissement percussif : un coup précis sur le crâne, efficace mais difficile à automatiser.

Selon l'étude, investir dans un système d'étourdissement pourrait éviter jusqu'à 20 heures de douleur modérée à intense par dollar investi. C'est peu coûteux au regard de la souffrance évitée.

Mais attention : ces méthodes ne suffisent pas si le stress préalable (transport, capture, manipulation) n'est pas réduit. Le WFF permet aussi d'évaluer l'ensemble du processus pour identifier les points critiques à améliorer.

🔍 Ce que révèle vraiment cette étude

Ce travail se distingue par plusieurs apports originaux :

  • Il quantifie pour la première fois la douleur des poissons de façon chiffrée.

  • Il introduit un indicateur compréhensible (temps de souffrance) qui parle au grand public.

  • Il souligne le retard éthique : là où les mammifères bénéficient de lois contre la souffrance inutile, les poissons sont encore largement oubliés.

En posant les bases d'une "empreinte de souffrance", l'équipe de Schuck-Paim offre un nouvel outil de responsabilisation pour les professionnels de la filière et les consommateurs.

🌎 Que pouvons-nous faire, en tant que citoyens ?

À notre échelle, plusieurs pistes sont envisageables :

  • Privilégier les produits issus d'aquaculture certifiée avec étourdissement obligatoire (label RSPCA, Bio Europe...).

    Label Bio Europe

  • Sensibiliser à le fait que les poissons puissent ressentir la douleur et avoir des émotions, dans l'éducation et les médias.

  • Encourager la législation vers des pratiques plus humaines.

À mesure que la science avance, nos choix peuvent aussi évoluer.

🌍 Conclusion : vers une nouvelle éthique de la mer

L'étude de Scientific Reports ne se contente pas d'informer : elle interpelle. Le monde aquatique n'est pas un univers muet et insensible. En reconnaissant la douleur des poissons, nous sommes invités à repenser notre rapport à ces êtres vivants, si différents et pourtant si proches. Peut-on encore ignorer qu'un poisson sorti de l'eau se débat parce qu'il souffre – et non par simple réflexe ?

La question n'est plus seulement biologique, elle est aussi morale.

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